Le Modele Analytique RED-IFO


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Le Modele Analytique RED-IFO

I. Introduction

Il a été montré ailleurs que les avancées de la démocratie dans la plupart des pays d'Afrique et d'Amérique latine, et la généralisation de politiques de stabilisation macro-économique et d'ajustement structurel, ont mis à l'ordre du jour un retrait de l'Etat, qui a donné un nouvel élan aux politiques de décentralisation et crée un espace pour le déploiement des actions des autres acteurs du développement rural.(1) Ces évolutions devraient augmenter l'efficacité des politiques de développement, dans la mesure où elles se rapprochent des besoins des populations et sont élaborées sur la base de diagnostics locaux réalisés par ceux qui ont l'information la plus pertinente.

Il faut néanmoins reconnaître que l'héritage des politiques centralisées de développement rural, comporte un certain nombre de risques liés à la mise en place d'une politique de décentralisation. La prise en compte de ces risques permet d'identifier une méthodologie de décentralisation et un paquet de politiques d'accompagnement indispensables pour réussir la décentralisation.

Le modèle RED-IFO de décentralisation identifie, d'une part, les risques associés à la décentralisation et, d'autre part, une méthodologie et des politiques d'accompagnement pour mieux les maîtriser et mettre la décentralisation au service du développement rural.(2) Le modèle sert à orienter l'élaboration d'une politique plus adéquate de décentralisation, et à apprécier les performances des processus en cours.

II. Les Risques De La Decentralisation

L'héritage des politiques centralisées entraîne un certain nombre de risques associés au retrait de l'Etat et à la décentralisation. Ces risques peuvent mettre en échec les effets positifs attendus de la décentralisation. Le modèle RED-IFO commence par une analyse succincte de cet héritage qui lui permet d'identifier cinq grands risques de la décentralisation.

Risque 1. Le remplacement d'une logique de l'offre par une logique de la demande

Les politiques centralisées étaient orientées par une logique pure de l'offre consistant en une stratégie globale de développement élaborée, selon des modalités descendantes, par les instances nationales et faisant fi des desiderata des populations locales. Ces politiques ne focalisaient pas leurs instruments en fonction des problématiques spécifiques à chaque région ou à chaque groupe social. Le risque associé à cet héritage serait que, face aux inefficacités d'une intervention orientée par l'offre, les gouvernements soient tentés par une orientation de leurs politiques en fonction d'une logique pure de la demande. Ce type d'orientation aurait certes la vertu de prendre en compte les circonstances particulières de chaque localité ou type de producteurs, mais au risque d'un éparpillement des actions et de la perte d'une logique d'ensemble dans la définition des stratégies de développement rural. Or, il n'y a pas d'évidence empirique montrant que l'addition de solutions locales produit la meilleure solution d'ensemble à la problématique du développement rural.

Risque 2. L'asymétrie d'information ne facilite pas la coordination des activités

Une politique centralisée implique une information centralisée. La concentration de l'information dans les niveaux centraux de gouvernement ôte la possibilité aux populations rurales d'avoir une connaissance de l'environnement institutionnel, économique et technologique dans lequel elles évoluent et de participer efficacement à la formulation des politiques. Le risque lié à cet héritage serait que les acteurs locaux du développement, même si on leur donne la parole, ne puissent ni globaliser leurs demandes et problématiques, ni coordonner leurs activités. Les stratégies locales de développement, bien qu'imprégnées d'une forte connaissance des problématiques précises au niveau local, pourraient ne pas être cohérentes dans une logique régionale et, encore moins, dans une approche globale de développement. La possibilité formelle de participation ouverte par la décentralisation ne suffit pas. Il faut encore créer les conditions de cette participation. La symétrie dans l'accès à 'information est donc une condition de la coordination d'activités.

Risque 3. L'héritage du paternalisme peut créer une offre amoindrie de services d'appui

Pour les politiques centralisées, seule l'intervention de l'Etat pouvait corriger les défaillances du marché et dégager la voie du développement. Cette approche paternaliste soutenait que les populations rurales ne pouvaient pas utiliser efficacement les institutions du marché car elles n'avaient ni la capacité ni les ressources pour trouver des solutions à leurs propres problèmes. Elle a entravé la capacité d'action autonome des populations rurales et des niveaux locaux de gouvernement. Cet héritage est lourd de conséquences car, si le transfert de fonctions vers les acteurs locaux ne s'accompagne pas d'un transfert conséquent des compétences et des ressources, la décentralisation produira une diminution de l'offre de services d'appui aux petits et moyens agriculteurs, renforçant la polarisation entre les différents types de producteurs et le fossé entre l'agriculture commerciale et l'agriculture paysanne.

Risque 4. La tradition du clientélisme peut générer une appropriation de la décentralisation

L'allocation de ressources typique des politiques centralisées alimentait les clientèles de l'Etat, qui étaient celles qui avaient une plus grande capacité de formulation claire et cohérente de leurs besoins en termes de projets et de programmes, ainsi qu'un niveau d'organisation leur permettant de faire pression sur l'Etat pour recevoir la plus grande partie des dépenses publiques consacrées au développement rural. Le clientélisme faisait surgir des activités cherchant l'appropriation de la rente institutionnelle et une solidarité de fait entre le niveau central des gouvernements et les grands producteurs qui, étant les seuls interlocuteurs de l'Etat, recevaient tous les bénéfices de son intervention. L'asymétrie des niveaux d'organisation au sein des populations rurales peut se traduire par une appropriation de la part des élites locales, des municipalités et des organisations les plus riches et les mieux organisées, des fonctions et des ressources transférées dans le cadre de la décentralisation.

Risque 5. Rigidité institutionnelle et rythme de la décentralisation

Les niveaux intermédiaire et local des institutions centralisées étaient conçus pour mettre en œuvre des politiques définies par ailleurs. De ce fait, ils sont caractérisés par un manque de flexibilité pour s'adapter à un environnement changeant et pour prendre en compte les nouvelles conditions de leur environnement. Le risque lié à cet héritage serait que la rigidité des niveaux intermédiaire et local de gouvernement ainsi que des organisations de la société civile, ne leur permet pas de s'adapter dans les délais attendus aux défis de la politique de décentralisation. Il ne suffit pas d'adopter une loi de décentralisation pour que celle-ci s'applique d'une manière immédiate et cohérente. Il faut donc poser le problème du rythme souhaitable de la décentralisation.

III. Le Modele RED-IFO de Decentralisation

Pour surmonter les risques produits par l'héritage des politiques centralisées, le modèle RED-IFO propose, d'abord, une méthodologie de la décentralisation qui consiste en la régionalisation des besoins des populations rurales et la différenciation de politiques (risque 1); ensuite, trois politiques d'accompagnement liées aux domaines de l'information (risque 2), la formation (risque 3) et l'organisation (risque 4); enfin, une large concertation sur les modalités et le calendrier les plus adéquats pour mener de l'avant la décentralisation (risque 5).

La méthodologie de Régionalisation et Différenciation (RED)

Pour prévenir le premier risque de la décentralisation, la politique de décentralisation doit construire un espace d'intersection entre, d'une part, les acteurs du développement qui ont une logique d'ensemble et une offre globale de politiques et, d'autre part, les acteurs qui ont la connaissance des circonstances locales et une demande spécifique de projets et de programmes d'appui. Cet espace serait le lieu de formulation d'une stratégie de développement rural décentralisé. Autrement dit, pour que l'offre de politiques ne soit pas trop globale, il faut différencier les politiques moyennant l'identification, d'une part, des problématiques spécifiques à chaque région, produit et type de producteur et, d'autre part, des appuis les plus adaptés aux divers acteurs locaux du développement. Mais en même temps, pour que les demandes d'appui des acteurs locaux ne soient pas trop locales et éparpillées, il faut régionaliser les desiderata des populations rurales afin de leur donner une portée plus vaste et un niveau adéquat de coordination et cohérence.

La combinaison de régionalisation et différenciation permettrait de faire le passage des politiques centralisées vers des politiques chaque fois plus proches des réalités locales mais gardant un niveau de coordination et cohérence leur permettant d'être un levier du développement rural. Ainsi, l'Etat pourrait réorienter son action vers des politiques suffisamment adaptées et différenciées pour permettre au secteur agricole et rural d'être à la base d'une stratégie de développement génératrice d'empois, de revenus, et de diversification entre les revenus agricoles et non agricoles, tout en aidant les groupes de la population les plus pauvres et démunis à augmenter leur capacité d'insertion dans les marchés.

La différenciation des politiques et la régionalisation des demandes peuvent jouer un rôle central pour que les acteurs du développement puissent s'entendre, par le dialogue et la concertation, sur une stratégie de développement rural efficiente, transparente et différenciée. L'enjeu de ce dialogue est de coordonner les actions de chaque acteur sur la base d'une reconnaissance mutuelle des capacités que chacun peut apporter dans le cadre de la décentralisation. Les politiques d'accompagnement à la décentralisation seraient conçues et mises en pratique dans ce cadre général.

Les politiques d'accompagnement: Information, Formation et Organisation (IFO)

Pour concrétiser les impacts attendus de la décentralisation il faut, d'après le modèle RED-IFO, trois politiques d'accompagnement à la régionalisation et la différentiation, qui rendent disponible l'accès à l'information, la formation et l'appui à l'organisation.

Le rôle de l'accès à l'information

Il a été signalé plus haut que l'asymétrie dans l'accès à l'information ne facilitait pas la coordination et cohérence des activités. La politique d'accès à l'information aurait un double objectif: D'une part, la production de l'information nécessaire à l'élaboration d'une stratégie de développement rural et, d'autre part, la création des conditions qui permettent le flux de cette information entre tous les acteurs du développement rural. L'accès pour tous à l'information est une condition du dialogue entre l'Etat et les autres acteurs du développement, sans lequel il ne peut pas y avoir de stratégie de développement participative et décentralisée. Pour que ce dialogue puisse s'instaurer, il faut que les interlocuteurs disposent de la même quantité et qualité d'information sur les contraintes et opportunités (institutionnelles, macro-économiques et technologiques) qui déterminent le développement local.

La production d'information et son flux peuvent en plus introduire un certain contrôle des populations rurales sur les actions de développement et garantir la cohérence des interventions, dans la mesure où les acteurs disposeraient d'une information plus vaste que celle qui porte seulement sur les circonstances dans lesquelles ils évoluent. Ceci est prioritaire si l'on veut donner un contenu économique, technologique et participatif à la décentralisation.

La formation pour éviter les vides institutionnels

La capacité d'action autonome des populations rurales a été bloquée par la longue période de paternalisme. Les compétences techniques de tous les acteurs du développement doivent donc être créées ou renforcées pour que la décentralisation ne donne pas lieu à une offre amoindrie de services d'appui et que l'accomplissement des fonctions décentralisées soit garanti. Il faut donc que le transfert de fonctions s'accompagne d'un transfert de compétences vers les services techniques, les niveaux locaux de gouvernement et les organisations de la société civile.

La nécessité de la formation vient aussi du fait que la politique de décentralisation met l'accent sur les demandes des populations locales. Or, la capacité de formulation de demandes ne se distribue pas d'une manière symétrique entre les différentes municipalités et organisations de la société civile. Elle dépend en effet de l'accumulation préalable de capital social et des expériences particulières d'organisation. Sans une politique forte de formation, la décentralisation favoriserait les gouvernements locaux et les organisations les plus riches et mieux organisés, au détriment de celles qui ont le plus besoin d'appuis mais qui n'ont pas la capacité de formuler et articuler leurs demandes en termes de projets et programmes de développement. La formation doit donc être orientée en priorité vers ces niveaux de gouvernement et organisations de la société civile.

Les appuis à l'organisation et les mécanismes de médiation

Si la disponibilité d'information et la formation sont un frein aux tendances à l'appropriation de la décentralisation par les élites locales, elles peuvent être insuffisantes s'il n'existe pas une organisation forte qui donne aux acteurs du développement la possibilité de participer à la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques. C'est pourquoi la troisième politique d'accompagnement proposée par le modèle RED-IFO consiste en l'appui aux organisations de la société civile, leur reconnaissance en tant qu'interlocuteurs de l'Etat, et la création d'un cadre institutionnel favorable à la participation. L'importance de l'organisation a plusieurs dimensions.

  • L'organisation peut garantir que les modalités concrètes de la décentralisation répondent aux demandes de participation de la part des populations rurales, et non pas décidées et formulées d'une manière centralisée. Les objectifs, les modalités et le rythme de la politique de décentralisation pourraient ainsi être concertés avec ses propres acteurs locaux.
  • L'organisation facilite les innovations institutionnelles qui permettent aux acteurs du développement de participer activement à la différenciation des politiques et à la régionalisation des demandes d'appui. C'est par l'organisation que les différents groupes sociaux peuvent devenir les acteurs de leur propre développement, car elle renforce leur capacité d'appropriation des fonctions auparavant centralisées.
  • L'organisation est enfin importante car le succès de la décentralisation repose sur l'existence de structures locales de médiation et concertation, qui transforment la pression sociale en projets et programmes de développement. Encore faut-il que le rôle éminemment positif de la pression sociale soit reconnu. Les Etats centralisés avaient tendance à ne voir dans le conflit qu'une opposition à ses interventions, alors que très souvent le conflit exprimait une demande d'intervention. Si cette demande prenait la forme d'un conflit, c'était parce qu'il n'y avait pas des espaces de dialogue au niveau local. Avec des mécanismes décentralisés de médiation, la pression sociale peut être un vecteur qui structure les demandes et les synthétise dans une stratégie de développement rural.
Un tout premier domaine où le dialogue et la concertation entre l'Etat et les autres acteurs du développement doit s'appliquer est celui qui concerne le rythme de la décentralisation. Dans sa définition, il faut reconnaître que les situations régionales, les conditions de production et les stratégies de chaque type d'acteur sont autant des contraintes qui exigent que la décentralisation se fasse sur la base d'un dialogue multiple entre les acteurs nationaux et locaux et d'une régionalisation des résultats de ce dialogue. Ceci permettrait de moduler le rythme de la décentralisation en fonction de la capacité spécifique de chaque région, de chaque commune ou municipalité, et de chaque groupe social, à assumer et développer les fonctions décentralisées qui leur reviennent. Le modèle RED-IFO propose en somme de concevoir la décentralisation comme un processus progressif de transfert de fonctions, de ressources et de pouvoirs de décision, en suivant le rythme permis par le renforcement institutionnel concomitant à la décentralisation.

IV. Conclusion

La méthodologie de la décentralisation et les politiques d'accompagnement constitutives du modèle RED-IFO, ne sont pas compatibles avec un État centralisé se considérant l'unique acteur du développement face aux bénéficiaires de ses politiques. Par contre, la différenciation et la régionalisation supposent qu'il y ait un dialogue entre les multiples acteurs. Pour cela, il faut que les institutions des états centralisés laissent leur place à des nouvelles institutions capables de créer les conditions du dialogue entre l'Etat et les autres acteurs du développement rural. Mais il faut également que ces nouvelles institutions ne soient pas conçues comme des instruments apportant l'information, la formation et l'organisation aux populations rurales. Elles doivent être en grande partie une création des populations rurales elles-mêmes, qui se donnent ainsi les moyens de dialoguer avec tous leurs partenaires. C'est pourquoi, l'axe stratégique du modèle RED-IFO consiste en la création, la reconversion ou le renforcement institutionnel.(3)

Une décentralisation axée sur le renforcement institutionnel permettrait à l'Etat de se déployer sur le terrain et se rapprocher des réalités locales, sans perdre pour autant sa capacité de globalisation et d'imprimer une logique d'ensemble au développement des espaces ruraux. Si l'objectif du modèle RED-IFO est d'éclairer les acteurs du développement rural sur les risques, les potentialités et les conditions du succès d'une politique de décentralisation, sa clé de voûte est la création des conditions institutionnelles permettant la participation des populations aux choix et à la réalisation des actions qui déterminent leur devenir.

Le modèle reconnaît implicitement que la décentralisation ne peut déployer toutes ses potentialités qu'en étroite relation avec le renforcement de la démocratie en tant que système d'expression des intérêts. C'est ainsi que le passage d'une logique de l'offre vers une logique de la demande peut se faire: a) sous l'impulsion des acteurs locaux du développement, b) sans que la décentralisation produise de vides et c) en construisant une stratégie globale, cohérente, et participative, qui ne joue pas seulement en faveur des acteurs les plus forts et les mieux organisés. Le modèle propose donc la création d'une nouvelle alliance pour le développement rural durable, viable et participatif, dans lequel les populations rurales participent pleinement à l'extension des marchés ruraux, de l'épargne et de l'investissement, trois facteurs clés dans tout processus de développement rural.


  1. Voir Country Profiles, dans ce Guidebook on decentralization. Les principaux acteurs du développement rural, pour les objectifs de ce document, sont les organisations internationales, l'Etat, les niveaux décentralisés de gouvernement, le secteur privé, les ONG et les diverses organisations de la société civile.
  2. Ce modèle a été utilisé dans l'élaboration d'un questionnaire sur la décentralisation, sur la base duquel une typologie des processus de décentralisation a été réalisée. Une présentation complète de ce modèle apparaît en PANIAGUA R., "RED-IFO, un modèle pour analyser la décentralisation", Coll. Décentralisation et Développement rural, N° 3, FAO-SDA, Rome, 1997. La typologie des processus de décentralisation peut être consultée en BONNAL J./MUHEIM P., "Preliminary analysis of a questionnaire on decentralization: Outline of a Typology", Coll. Décentralisation et Développement rural, N° 16, FAO-SDA, Rome, 1997.
  3. Pour une présentation de cet axe stratégique, voir le document "L'analyse des systèmes institutionnels (ISA). Propositions méthodologiques", Coll. Décentralisation et Développement rural, N° 4, FAO-SDA, Rome, 1996.